Intéressante décision concernant le mécanisme de cristallisation des moyens prévu à l’article R.611-7-2 du CJA, dans le contentieux de pleine juridiction.

Cet article prévoit que dans un certain nombre de contentieux « les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense ». 

Était contestée dans cette affaire une autorisation environnementale d’exploitation de quatre éoliennes terrestres (soumis à ce régime contentieux).

Se posait la question de savoir si le fait d’invoquer un moyen de manière imprécise et à titre conservatoire avant le délai de cristallisation (en l’occurrence, l’insuffisance de l’étude d’impact, les vices affectant l’enquête publique et les conclusions du commissaire) puis de le compléter par des éléments permettant d’en apprécier le bien-fondé après le délai de cristallisation, permettait de le recevoir au sens de l’article R.611-7-2.

La Cour a logiquement considéré qu’un moyen précisé après le délai de cristallisation devait être considéré comme un moyen nouveau, irrecevable au titre de l’article susvisé :

« (…) Ces moyens, qui n’ont été précisés qu’après le délai prévu par les dispositions de l’article R. 611- 7-2 du code de justice administrative, doivent être regardés comme des moyens nouveaux irrecevables, car invoqués tardivement. Par ailleurs, tels qu’ils ont été invoqués avant l’expiration de ce délai, ils ne peuvent qu’être écartés comme dépourvus des précisions permettant d’en apprécier la portée et le bien-fondé ».

La Cour retient donc, d’une part, qu’un moyen qui n’est précisé qu’après le délai de cristallisation est un moyen nouveau irrecevable, d’autre part, en considérant la portée du moyen invoqué dans le délai de cristallisation, que ce moyen doit être écarté comme dépourvu de précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.

Le moyen est donc apprécié en deux temps : avant le délai de cristallisation, le moyen est apprécié pour ce qu’il est, c’est-à-dire en l’occurrence imprécis et donc irrecevable, après le délai de cristallisation, les précisions qui s’y rattachent sont considérées comme des moyens nouveaux insusceptibles de couvrir l’irrecevabilité du moyen telle qu’appréciée dans le délai de cristallisation.

Cette solution est cohérente avec l’objet du mécanisme contentieux de cristallisation créé afin d’éviter que les requérants ne distillent tout au long du contentieux de nouveaux moyens dans un but dilatoire. S’il était possible d’invoquer dans le délai de cristallisation nombre de moyens imprécis et de préciser leur portée après, le mécanisme perdrait son objet et son intérêt.

Cette décision pourrait trouver une application dans le contentieux des autorisations d’urbanisme, bénéficiant de mécanisme spécial de cristallisation de l’article R.600-5.

https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CAA/decision/2024-07-12/22NT01245